Le Gratteur Albinos : contre-vérités.
PREMIERE PARTIE
Nous sommes témoins ces dernières années de tout un battage médiatique organisé autour de la recherche du moteur de l'avion « Oiseau Blanc », perdu en 1927 et de l'épave du chalutier local « Ravenel », sombré corps et biens en 1962. Cette chasse aux débris a apparemment débuté avec le cadeau d'un bouquin de Clive Cussler, offert à Bernard Decré, que l'on nommera ici tout simplement « Ben ». A la lecture de l'ouvrage, Ben a une révélation et se lance dans une enquête à la Tintin, genre « Le Secret de la Licorne ». Mais sa quête n'est pas une B.D. Le narval de terre, c'est de la roupie de sansonnet. Plus sérieusement qu'Hergé et ses petits mickeys, il veut prouver coûte que coûte que Nungesser et Coli ont bien traversé l'Atlantique en mai 1927 et qu'ils se sont abîmés à un jet d'élingue au large de Saint-Pierre et Miquelon. N'étant pas londonnien, c'est sans pipe à la bouche ni loupe à la main qu'il agit et, comme il n'habite pas Moulinsart, il n'est accompagné d'aucun morceau d'anon fumé.
Mettons de côté la recherche de l'épave du Ravenel : médiatiquement, elle n'intéresse que la population locale et c'est très certainement à celle-ci de s'en préoccuper si tant est que cela représente encore un intérêt pour elle. Penchons-nous plutôt sur les conclusions de notre enquêteur concernant l'Oiseau Blanc. Il prend pour éléments de base ne souffrant aucune contradiction deux témoignages-clé : celui de Pierre-Marie Lechevallier, dont on rapporte qu'il aurait entendu un bruit sourd étant en pêche près des côtes de Saint-Pierre le 9 mai 1927, et celui de Gabriel Briant, qui a assuré avoir entendu un son indescriptible au large de la péninsule de Burin à Terre-Neuve le même matin du 9 mai. Ben croit dur comme fer à ces déclarations : habillé de rouge et la houppe au vent, il écume les archives des deux bords de l'Atlantique et la mer à bord du « Zéphir ». Il prend des notes en pagaille et les confie à Vincent Mongaillard, un journaliste d'investigation qui se charge d'en réaliser un produit d'imprimerie : « L'oiseau blanc, l'enquête vérité » !
Je ne suis pas journaliste mais un tout petit peu investigateur. Pour entreprendre, ou reprendre une enquête, il semblerait naturel de s'assurer dès le départ de la véracité des témoignages sur lesquels on fondera ses théories, même si les témoins-clé sont partis à Ouest. « L'oiseau blanc, l'enquête vérité » n'est pas basée sur ce principe. Elle plonge cette belle aventure dans un parfum délétère : on n'y relève que des sous-entendus de complots, d'intrigues, de destructions volontaires d'indices et même de secrets d'Etat...
« Les cadavres de Nungesser et Coli ont pu très bien être pris pour des victimes de règlements de comptes qu'il fallait absolument enfouir sous terre car risquant de devenir vite embarrassantes. (…) dans un endroit forcément tenu secret... » ; « Dans ce contexte, les corps sans vie faisaient presque partie du décor. On enterrait les victimes sans certificat de décès ou, quand on savait bien monnayer les complicités, avec de faux documents » (Page 235). « Secret... Cachoterie... Affaire classée » (page 103) ; « Redoutant la vengeance de la mafia » ((page 111) ; « Jardin secret »(112) ; « Messages confidentiels et souvent mystérieux, parfois glissés dans la poche de l'un de nous... » (page 147) ; « Clairement on a essayé de mettre le couvercle sur la marmite ». Les gouverneurs « n'ont jamais été loquaces sur l'Oiseau blanc avec leurs supérieurs, craignant d'avoir les inspecteurs français sur le dos. Ceux-ci étaient susceptibles de s'intéresser, en plus du cas de Nugesser et Coli, aux activités de l'archipel et de balancer moults détails sur la contrebande » (pages166-167) ; « Dans le Journal officiel, nulle trace de création d'une commission spéciale à ce sujet ni la nomination de membres devant l'intégrer afin de faire toute la lumière sur cette disparition (…) Est-il allé au bout de sa mission ? Quelles ont été ses conclusions ? C'est un mystère. Impossible de mettre la main sur ce rapport, ni même de savoir s'il a existé un jour.» (page 167) ; « De quoi devenir parano, non ? » ; « Sans tomber dans la paranoïa ». (Pages 214, 233). « Il est très curieux de constater que tous les rapports et notes (...) sont absents pour les années 1927 et 1928. Comme tous les documents sensibles de l'archipel à l'époque, ils ont été sans doute brûlés. Généralement quand un dossier pouvait être gênant, on disait qu'il avait été victime d'un incendie ou qu'il avait été perdu, précise, un sourire en coin, Rodrigue Girardin,... » pages 167-168...
Tiens bon l'père, c'est quoi l'tableau là ?... Puisque je suis nommé, je déclare que ce n'est pas la vérité et que je ne me ferai pas le témoin passif de cette déformation de propos. Sans trahir le secret professionnel, j'ai bien dit quelque chose sur l'absence d'informations dans les archives locales, mais pas seulement pour cette époque.
Précisions : à la suite de l'incendie du Service des Archives de la Collectivité Locale (aujourd'hui Territoriale) en mars 1992, de nombreux documents sont partis en cendres ; d'autres, plus ou moins abîmés, ont été récupérés, classés et sont communicables dans le respect de la loi de 2008. Depuis ce sinistre, des agents de divers services administratifs, parce qu'ils pensent que toutes les archives « anciennes » ont disparu dans ce désastre, déclarent de bonne foi qu'on ne peut plus rien retrouver. Si des documents existent encore dans leurs dépôts, soit certains ne savent pas où les rechercher, soit ils n'en ont pas envie et peuvent, parfois, assurer que ces pièces avaient été versées et que par conséquent, elles ont été brûlées en 1992. Mais, ai-je aussi déclaré à Ben, la copie de la correspondance du Gouverneur, ou les procès-verbaux du Conseil d'Administration de la Colonie auxquels il fait référence pourraient se retrouver aux Archives Nationales, en France métropolitaine. Faut chercher l'père !
Sans esprit de publication ni volonté de nuire à l'épopée de l'Oiseau Blanc, je vous propose une analyse de quelques arguments avancés dans le livre et vous pourrez dresser votre propre constat car, qui n'entend qu'un son n'entend qu'une cloche. Je ferai donc le bourdon en utilisant la tchatche de chez nous mais que l'on ne se méprenne pas, il ne s'agit pas d'une passe d'armes vengeresse envers qui que ce soit. « Il nous faut rétablir la vérité, toute la vérité, rien que la vérité » (page 123). Bon, je lève la main droite, je déclare « Je le jure » et j'y-go, en toute objectivité.
Tel qu'indiqué plus haut, à Saint-Pierre, le premier témoin-clé retenu est Pierre-Marie Lechevallier. Il y est né le 7 juillet 1894, de François et d'Elisa Guyon. Il semble avoir passé toute son existence rue Sadi-Carnot (ex-Granchain, aujourd'hui Amiral Muselier, à proximité du Monument aux Morts), avec une vue imprenable sur le barachois, la butte et le phare de Galantry et les eaux baignant le sud de l'île de Saint-Pierre. Pierre-Marie ne se maria jamais et n'eut jamais l'occasion de se déclarer à l'état-civil pour la reconnaissance d'un enfant issu de ses oeuvres. C'est dire qu'il était, jusqu'à la fin de sa vie, en septembre 1974, vieux garçon.
Si ce petit pêcheur habite effectivement le secteur en 1927, on pourrait en déduire que son échouage se situait, au fond du barachois, cette anse profonde délimitée en arc de cercle par la pointe aux Canons au nord-est et la pointe à Bertrand au sud-est. L'abandon progressif par les grandes compagnies de pêche des considérables étendues de terrain en périphérie du barachois devaient permettre l'installation de saillages en lieu et place des cales et quais industriels. Leurs droits primitifs d'occupation temporaire sur le domaine maritime seront en effet supplantés par l'industrie côtière à l'aide du doris motorisé. De son domicile surplombant cet abri naturel, Lechevallier pourrait toujours avoir à l'oeil son embarcation hissée au sec sur des madriers à l'aide de son cabestan, éventuellement sur sa saline qui abritait son matériel de pêche et sur les prises qu'il pouvait y avoir entreposé. A l'instar des autres pêcheurs de l'anse à Rodrigue en bordure de la rade, ou des pointes et anses Bertrand et Philibert, voire même de l'Alumette, toutes situées dans la partie Est de Saint-Pierre, ou de l'Ile-aux-Chiens, il pêchait dans le sud de Saint-Pierre en empruntant la passe du suet. De nombreux fonds de pêche existent dans le secteur, qui sont des endroits de prédilection pour la morue : le « Suet », le « Petit-suet », la « Caserne », les « Grappins »,...
C'est sur ce dernier fond qu'on nous rapporte Lechevallier pêchant le lundi 9 mai 1927 « à deux milles au sud du port de Saint-Pierre » dans son doris baptisé du nom de « Canada ». Il avait quitté, nous dit encore « L'enquête vérité », page 99 et suivante, le port vers 5 heures du matin, « le temps est idéal. Mais en milieu de matinée, il se gâte très sérieusement. Une couche de brouillard flotte à quelques mètres à peine au-dessus de l'océan. Le vent est nul, la mer totalement lisse. Le poisson se montre généreux. (…) En fin de matinée, alors qu'il est debout dans son canot en train de veiller sur ses lignes (…) il est intrigué par un bruit lointain venant de l'est. Le bosseur infatigable interrompt son labeur et tend l'oreille... ». Boum, Paf ou Pif : bruit de collision, « avec des craquements comme une benne qu'on décharge à la mer (…) Un fracas indescriptible que l'on ne peut oublier quand, comme notre trentenaire, on a l'ouïe fine. Le pêcheur ne voit absolument rien à cause du brouillard. C'est le silence complet. Jusqu'à ce que son labrador (Note : en remplacement de « Whisky » tel que nommé dans le bouquin, appelons-le «Ach-à-bas»), alors endormi en rond sur le capot protégeant le moteur de la barque traditionnelle de Saint-Pierre, se redresse brutalement sur son arrière-train, aboit et hurle à la mort... »
Il est navrant qu'un plaisancier du dimanche Pascal trouve que le temps se gâte très sérieusement parce que la brume tombe et que le vent soit nul, mais bon, c'est romancé. Il n'est donc pas étonnant que Lechevallier ne soit pas revenu à fond de train la caisse sur le port, de peur de se perdre puisqu'on a dit page 99 qu'un compas lui suffisait pour se diriger, comme tous les autres pêcheurs aussi aidés par la montre. S'il a bien entendu les fâmeux bruits, pas besoin de mettre une taoïnssée à Ach-à-bas, qualifié de « furie », page 101. On nous dit ensuite qu'il est resté sur zone encore trois bonnes heures puis qu'il est rentré à bon port dans l'après-midi avec « deux gros paniers de morues ». Dit donc ! Deux mannes de morues ! Ce n'est pas ce qu'il est convenu d'appeler une bonne marée, déjà assurée en matinée. La sardine qui bloque le port de Marseille en somme. Bon, allez,...c'est encore la romance.
Pas un autre pêcheur n'est visiblement ou audiblement présent dans le secteur, car aucun témoignage ne vient ajouter foi à celui de Lechevallier. Lui seul et son chien ont entendu l'impact, le chien ne pouvant qu'aboyer, il ne nous reste que son maître comme bougonneur. Dieu sait pourtant que les pêcheurs côtiers, surtout mariés et pères de famille avaient tout autant, sinon plus que lui, besoin de gagner leur croûte puis de mettre, s'il était possible, du « beurre dans les épinards » (page 100), (à condition d'avoir d'abord des épinards), particulièrement s'il faisait beau : calmasse et brumasse.
Le gars ne dit rien en arrivant à terre, mais dans les années qui suivent, il dépile en masse : auprès de Clém Vallée, des excursionnistes vers l'anse à Henry et enfin de Djoe Lehuenen. L'Homme qui a entendu un bruit en mer et qui a soit-disant mis une branlée à son chien qui aboyait à la mort en ne comprenant pas son comportement le 9 mai 1927, aurait dorénavant laissé ses lignes par brume masquée puis, comme un pêcheur en étang, il aurait fait des ronds dans l'eau pour revenir au compas sur le fonds qu'il avait abandonné. A croire qu'il pêchait l'éperlan à la gaule et au bouchon visibles de loin, au Caillou Poulain dans l'étang de Savoyard par exemple...
Question météo, le responsable des observations, bien qu'il puisse être chargé d'un autre travail administratif (écritures), n'en devait pas moins relever les phénomènes 3 fois par jour. Il n'est pas question qu'il ne mette le bout du nez à la fenêtre que pour rapporter que le vent est plus ou moins fort, qu'il fait plus ou moins froid ou que le ciel est plus ou moins couvert. Non, le gars fait des relevés à 7 heures, à midi et à 19 heures. Entre-temps, rien cependant ne permet à quiconque de se prononcer sur le temps.
D'après les relevés, en ce 9 mai 1927, ⁃ la température varie de +4 au minimum à +5 au maximum ; ⁃ le vent est noroît, de 12 à 15/mètres seconde ; ⁃ sur une échelle de 0 à 10, la nébulosité est relevée à 0, c'est-à-dire : Clair. ⁃ pas de remarque particulière quant à la brume, des nuages, de tempête, etc. Le 9 mai donc, que ce soit à 7 heures, à midi ou à 19 heures, le ciel est clair et le vent de noroît de près de 30 noeuds ou 54 km à l'heure. Pas de brume, pas de calme plat et, vraisemblablement, en raison des vents assez forts, pas de sortie en mer pour les doris.
Le lendemain, 10 mai, les vents de noroît sont toujours assez forts, de 13 à 15 mètres par seconde, le temps est clair. Toujours pas de sortie possible. Visiblement une deuxième marée de cabanne.
Le 8 mai par contre, le temps était brumeux avec pluie, visibilité nulle. Sur l'échelle de 10, elle est de 9 à 10 toute la journée, les vents sont faibles de la partie nordé, 4 m/s le matin (8 noeuds/14 km/h), fraîchissant à 5 puis passant à 9 m/s dans l'après midi (17 noeuds ou 32 km/h). Pas de quoi gêner un pêcheur en doris, mais alors les aviateurs étaient encore loin de nos côtes.... Est-ce en ce jour que Lechevallier a cru entendre un bruit sourd faisant penser à une collision, un impact, (un bruit de moteur d'avion rapporté par Lehuenen) ? Nous savons que certains bootleggers possédaient des vedettes rapides équipées de moteurs d'avion...
La seule journée de calme plat relevée au cours de la première quinzaine de mai est le 3 avec un vent de suroît 1 m/s avec brume le matin jusqu'à 7 heures, se renforçant à 5 m/s entre 7 et 12 heures.
Les conditions météorologiques évoquées par Lechevallier en cette journée du 9 ne coïncident donc absolument pas avec la réalité. Clém Vallée, puis Djoe Lehuenen rapportent son témoignage, Emile Pério le reprend avec emphase et le publie dans « Carrefour des Grands Raids ». A eux trois, ils en font une vérité absolue, « L'enquête Vérité » rive le clou et le décrète témoignage-clé à toute épreuve. Près d'un siècle plus tard, on va dénicher des hommes qui ont entendu « notre témoin capital » (page 105) : le neveu ; un « ex-avocat » ; une « voisine » qui discutait par dessus la palissade et qui « l'entendait souvent (...) évoquer ce -crash- ». « Jojo (...) qui lui faisait ses courses dans les dernières années de sa vie » (page 106) et enfin, un nonagénaire, dont le « gendre » a aiguillé les enquêteurs sur la piste de l'incroyable version Lechevallier. Comptine au lèvres entre deux cafés, cet honorable vieillard vient ajouter un témoignage choc à tous ceux qui veulent « bétonner » la légende : Lechevallier a aussi entendu crier !
Qu'une chanson en hommage à la perte des aviateurs soit en vogue ici après l'évènement, cela est possible, probable même. Par esprit patriotique, à posteriori, un doris local sera même baptisé « Oiseau Blanc ». Deux voisins directs de Lechevallier et « Jojo » se souviennent parfaitement avoir entendu sa version : à maintes reprises, il a déclaré bien plus tard, qu'au moment de la tentative des aviateurs, il avait entendu un bruit anormal en mer, étant en pêche avec son chien de Terre-Neuve comme seul compagnon. Qu'à la suite de ce son étrange, son chien s'était mis à aboyer et que ce n'est que quelques jours après la nouvelle de la disparition de Nungesser et Coli qu'il lui avait semblé qu'il pouvait y avoir rapprochement. « Cet homme n'était pas un menteur », assure-t-on. Par contre, un autre habitant du quartier dira que ce gars-là était à moitié fou. Et on exhume encore un dernier témoin : un gamin de neuf ans à l'époque (aujourd'hui décédé et qui n'allait visiblement pas à l'école en ce lundi) se rappelant avoir entendu « à plusieurs reprises, un avion qui tournait derrière Galantry, en plein brouillard, puis comme une explosion » ! (page 115). Il faut croire qu'il n'existait alors que deux habitants n'étant pas atteints de surdité à Saint-Pierre et à l'Ile-aux-Chiens et que les gardiens du phare et de la sirène de Galantry piquaient un spell entre 9 heures et 10 heures du matin !
Admettons contre toute réalité que ce jour-là la brume soit à couper au couteau et qu'il n'y ait pas un pet de vent : Lechevallier était-il en mer ?
Etant donné que toutes les archives locales n'ont pas brûlé dans l'incendie de 1992, il nous reste un certain nombre de matricules d'inscrits, qu'ils soient provisoires, définitifs ou hors-services. Nous possédons encore les registres, parfois partiels, des armements et désarmements locaux, des longs-courriers ou de bâtiments pêcheurs métropolitains. Ces documents nous permettent de réaliser un « tir croisé » si l'on peut dire, non pas de « Coast Guards » mais de « Truth Guards ». Voyons tout d'abord la matricule des inscrits définitifs, classe à laquelle appartenait Lechevallier à l'époque. Avant la Première Guerre Mondiale, notre homme est embarqué matelot. Sans faire un historique de sa carrière maritime, plaçons le premier jalon en 1913 à l'aide de la matricule des inscrits définitifs classée au service d'archives de la collectivité territoriale sous la cote SC 1455. Il réalise les campagnes de pêche 1913 et 1914 comme matelot sur le doris « Rose n° 2 ». Le 3 février 1915, il embarque avec le contingent local sur le vapeur « Chicago » à destination du Hâvre pour être incorporé au 1er dépôt des équipages de la Flotte à Cherbourg. Il est ensuite versé au dépôt de Toulon en avril 1916 puis participe aux croisières de protection des convois vers le Canada du 20 juillet 1916 au 11 juin 1918 avant d'embarquer sur le « Démocratie » jusqu'au 13 juillet 1919. A cette date, il obtient une permission et regagne Saint-Pierre le 27 août de la même année. Il travaille sans aucun doute à terre car il ne réembarque à la petite pêche que le 2 mai 1921 comme matelot sur le doris « Martin Pêcheur » jusqu'au 27 avril 1922. En septembre 1923, il est matelot du doris « Jeanne » jusqu'en janvier 1924. Au printemps de la même année c'est sur le doris « Adèle » qu'il navigue, toujours comme matelot, jusqu'au 24 avril 1926. Etrangement, aucun mouvement de navigation n'est porté à son bénéfice de ce jour au 16 août 1929, date à laquelle il arme le doris « Canada n° 1 ». Pour nous assurer de ce « trou » dans sa navigation et croiser les informations, consultons les registres de désarmements de 1927 et de 1928. Quelques rôles sont manquants (pas plus d'une dizaine), mais Lechevallier ne figure à aucun de ceux qui sont toujours conservés. S'est-il absenté de l'archipel pour aller naviguer ailleurs ? S'il avait navigué en France, il n'aurait pas manqué de faire valider ce temps au bénéfice de sa pension. Tout comme aujourd'hui, le temps de navigation permet au naviguant de toucher une retraite proportionnelle. A-t-il tenté sa chance au Canada voisin pendant cette période ? Etant inscrit, pour s'absenter de son quartier et partir en France ou à l'Etranger, il lui était nécessaire d'obtenir un permis d'absence, mais il ne figure pas dans les listes d'enregistrement, parfaitement tenues à jour par l'Administration.
Il n'était donc pas en mer en ce 9 mai 1927. Envisageons une hypothèse plus plausible : du printemps 1926 à l'été 1929, il travaille localement à terre en profitant de l'embauche et des bons revenus qu'offrait alors la Prohitition. Ce salaire assuré lui permettrait de finir d'économiser afin d'acheter son propre doris et de devenir patron, ce qu'il a réalisé en 1929. Tout comme les véhicules terrestres, les embarcations possèdent un numéro d'immatriculation attribué dès la mise en circulation. La matricule des bâtiments du commerce fait état de la première inscription de son doris, « Canada n° 1 », le 16 août de cette année 1929. Son numéro est le 5458, il est équipé d'un moteur de 3 chevaux et son échouage se situe effectivement au Barachois, tel qu'envisagé plus haut. Il restera par la suite propriétaire d'un doris, toujours baptisé du nom de « Canada » jusqu'en juillet 1942 alors qu'il passe dans la catégorie des hors-services.
(SUITE BIENTOT!) R.G.
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